À Stains, Vélo-Égaux redonne autonomie et confiance aux habitantes des quartiers prioritaires

Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), l'accès à une mobilité autonome et abordable représente un enjeu majeur d'inclusion sociale. Le programme Vélo-Égaux s'y déploie pour offrir une solution de transport durable, tout en favorisant l’émancipation. À Stains, en Seine-Saint-Denis, ville où 55% de la population vit en QPV, la régie de quartier Les Rayons illustre comment ce programme peut transformer la vie des habitantes et habitants.

Les Rayons est à la fois une association et une entreprise d’insertion professionnelle dont la mission est d’améliorer le cadre de vie avec et pour les habitantes et habitants du quartier. « La régie embauche des habitantes et habitants du quartier pour différentes activités qui relèvent du cadre de vie et de la gestion urbaine de proximité », explique Mathilde Godoy, coordinatrice du pôle lien social. Services de nettoyage, voirie, espaces verts, collecte de déchets : les habitantes et habitants travaillent dans leur propre quartier pour son entretien et son embellissement.

Mais au-delà de ces missions de production, Les Rayons développe depuis 2016 une forte expertise autour de la mobilité à vélo, véritable signature de la structure. Un atelier de réparation et d’auto-réparation, des activités de vélo-école : le vélo est au cœur du projet de lien social de la régie. « Vélo-Égaux, c’était un peu le programme rêvé », confie Mathilde. « Un programme complet où les personnes non seulement apprennent à faire du vélo, mais bénéficient aussi d’une initiation à la mécanique, au code de la route appliqué au vélo, et de la remise d’un vélo gratuit. »

Des quartiers en mutation où le vélo trouve sa place

À Stains, les plans de rénovation urbaine et les investissements dans des pistes cyclables permettent de désenclaver progressivement les quartiers, et notamment celui du Clos Saint-Lazare où est implantée la régie. 

Pour autant, la population se déplace encore principalement à pied ou en transport en commun. « On voit quand même de plus en plus de vélos, lentement mais sûrement », observe Mathilde Godoy. Le vélo reste perçu avant tout comme une activité de loisirs plutôt que comme un véritable mode de transport quotidien. Pourtant, pour des personnes qui n’ont pas forcément de voiture ou de permis, le vélo représente une alternative pertinente et économique aux transports en commun, permettant d’accéder plus facilement à l’emploi, aux services et aux loisirs.

​​Un programme qui touche particulièrement les femmes

Depuis le lancement de Vélo-Égaux, près de 80 personnes se sont inscrites au programme avec Les Rayons. Parmi elles, une trentaine ont terminé leur parcours. Un chiffre frappe : sur ces 80 personnes, une seule est un homme. « Il était venu avec sa femme », précise Mathilde Godoy avec un sourire.

Comment expliquer cette quasi-exclusivité féminine ? « Beaucoup de femmes n’ont jamais appris à faire du vélo, ou ont complètement laissé de côté cette activité après l’enfance », analyse la coordinatrice. Faire du vélo, c’est aussi être vue dans la rue, dans une pratique sportive, montrer son corps en action. Pour beaucoup de femmes du quartier, cela n’était tout simplement pas dans le champ des possibles. « Il y a une question de confiance en soi et d’oser occuper l’espace public à vélo. »

Les Rayons accueillent ainsi des femmes de tous âges : certaines apprennent pour la première fois à l’âge adulte, voire à la retraite ; d’autres réapprennent après des décennies sans pratique.

Des parcours qui transforment

Le programme a pu se déployer efficacement grâce aux partenariats avec les maisons de quartier, qui ont identifié les personnes intéressées et facilité la mise en lien. « Ça nous a permis d’avoir des petits groupes de femmes qui se connaissaient déjà, donc des groupes assez soudés et motivés », souligne Mathilde.

Les témoignages recueillis révèlent l’impact profond du programme. Une apprenante d’une cinquantaine d’années confie : « C’était un rêve. Je voulais apprendre pour faire des balades en plein air. » Dès la première séance, elle a réussi à pédaler. « L’animateur a crié, il l’a même prise en vidéo. C’était quelque chose de très marquant pour elle. Ça lui a vraiment donné confiance en elle. »

Au-delà de la confiance en soi, l’apprentissage du vélo offre une nouvelle liberté. Stains se trouve à proximité du parc de la Courneuve et de ses 400 hectares de verdure, mais à pied, c’est une balade très longue. « À vélo, on y est en une dizaine de minutes, et on peut vraiment profiter du parc », explique Mathilde Godoy. Cette mobilité retrouvée permet également d’accéder plus facilement au centre-ville, aux lieux culturels comme la médiathèque, et constitue une solution pratique pour les déplacements du quotidien, que ce soit pour se rendre au travail ou à des rendez-vous.

Il y a aussi une dimension de transmission : « Beaucoup de mamans viennent en se disant : je veux apprendre parce que je veux que mes enfants apprennent, que mes enfants voient leur maman faire du vélo et pouvoir les accompagner en balade. »

Des solutions concrètes pour lever les freins

Comment permettre aux mères de famille de participer sereinement ? La question s’est rapidement posée aux Rayons. Les mercredis, créneaux privilégiés pour les cours de vélo, sont aussi les jours où les mamans ont leurs enfants. L’équipe a donc organisé des ateliers créatifs en parallèle des cours de vélo. « On arrive à la maison de quartier avec nos vélos et notre matériel de travaux manuels. Les mamans partent en vélo-école et les enfants font une petite activité », décrit Mathilde. Cette solution a permis de décharger les mères de la charge mentale de trouver une garde pour venir apprendre.

Les Rayons développent également leurs partenariats pour multiplier les créneaux d’apprentissage. Un nouveau partenariat avec l’association Cycl’Avenir à Villetaneuse permettra bientôt d’intégrer plus de personnes au programme, Les Rayons assurant la coordination et le diagnostic mobilité, tandis que le partenaire anime les vélo-écoles.

Une appropriation complète du vélo

Le parcours Vélo-Égaux ne s’arrête pas à l’apprentissage de la mobilité à vélo. Les ateliers de mécanique remportent un vrai succès : « Nos cours de mécanique sont toujours pleins. Les personnes sont vraiment contentes d’apprendre les bases, ça leur permet de faire les petites réparations sur les vélos de toute la famille. »

La remise du vélo constitue le point culminant du parcours. « C’est là qu’on voit que les participantes ont vraiment envie de continuer à faire du vélo parce qu’elles choisissent leur vélo », raconte Mathilde. Certaines préfèrent même attendre que d’autres vélos soient réparés plutôt que de prendre un vélo qui ne leur plaît pas. « Il y a vraiment cet attachement au vélo dont on va se servir régulièrement. C’est important que la personne reparte avec un vélo qui lui plaît vraiment, pour qu’elle s’en serve et qu’elle soit fière de pédaler avec. »

Des perspectives encourageantes

Pour Mathilde, le vélo peut devenir un véritable outil de désenclavement des quartiers prioritaires : « Pour les petits trajets, pour accéder plus facilement au centre-ville, aux lieux culturels et de loisirs, aux espaces verts, le vélo peut vraiment se développer et permettre de profiter pleinement de l’offre du territoire. »

Son message aux autres quartiers politiques de la ville qui pourraient être intéressés par cette démarche ? « Le vélo est un moyen de déplacement accessible à toutes et tous, écologique, qui permet d’améliorer à la fois la confiance en soi et la mobilité. Il ne faut pas hésiter à se lancer. »

Et demain ?

Si l’expérience de Stains démontre la pertinence et l’impact positif de Vélo-Égaux dans les QPV, elle souligne également la nécessité d’un engagement durable des collectivités locales et des décideurs publics pour pérenniser ces avancées.

Le Baromètre des villes cyclables montre que 6% des répondant·es résident dans un QPV, et leurs attentes rejoignent celles exprimées ailleurs : davantage d’infrastructures sécurisées et de stationnement vélo.

Pour accompagner durablement ces publics, les collectivités disposent de plusieurs leviers complémentaires à Vélo-Égaux : développer les aides à l’achat de vélos, soutenir financièrement les associations locales engagées dans la mobilité solidaire, et poursuivre les investissements dans des aménagements cyclables sécurisés. Au-delà du programme, c’est un écosystème complet qu’il s’agit de construire pour ancrer le vélo comme solution de mobilité pérenne dans les quartiers prioritaires.