Vélo-Égaux en milieu rural : la mobilité à vélo transforme le quotidien dans le pays de Redon

En milieu rural, se déplacer sans voiture reste souvent un défi. Peu de transports en commun, des distances importantes pour accéder aux commerces et activités de la vie quotidienne, etc. C’est dans ce contexte que La Sonnette déploie le programme Vélo-Égaux depuis 2024 dans le pays de Redon. Objectif : faire du vélo une solution concrète de mobilité, d’insertion et de lien social.

Situé à la frontière de trois départements et deux régions, le pays de Redon est un territoire rural et peu dense, où l’accès à l’emploi, aux services et à la formation repose encore très largement sur la voiture individuelle. “Jusqu’en septembre dernier, Redon Agglomération ne disposait d’aucun réseau de transport en commun. Par ailleurs, les bourgs ne sont pas ou peu reliés entre eux par des aménagements cyclables”, explique Mathilde Le Roux, coordinatrice du programme Vélo-Égaux à La Sonnette.

Un projet collectif et coopératif

Fondée en 2022, l’association La Sonnette, devenue depuis une société coopérative d’intérêt collectif, rassemble aujourd’hui six salarié·es, une dizaine de bénévoles actif·ves et plus de cinquante sociétaires. Son activité va bien au-delà de la vélo-école : ateliers d’autoréparation, accompagnement à la cyclomobilité professionnelle, boutique de vélos et d’équipements, atelier de réparation, et même un projet de café-vélo pour créer un lieu de rencontre ouvert à tous les publics.

“Nous voulons sortir du modèle automobilocentré, créer les conditions matérielles et immatérielles pour que le vélo soit reconnu comme un vrai mode de déplacement du quotidien”, résume Mathilde Le Roux.

C’est dans cet écosystème que Vélo-Égaux, a démarré en 2024. Ce programme s’adresse à des personnes rencontrant des difficultés financières et leur permet d’apprendre à faire du vélo et de disposer de leur propre vélo. La Sonnette a d’abord accueilli des personnes orientées par des partenaires avec lesquels elle collaborait déjà : structures d’insertion, foyers de personnes handicapées, groupes d’entraide mutuelle. Progressivement, le programme s’est étendu à de nouveaux publics et à d’autres villes du territoire. Cette extension permet de toucher des personnes éloignées de Redon, qui ne pourraient pas forcément se déplacer régulièrement pour suivre des séances. Depuis le lancement, 121 personnes ont rejoint le programme, dont 63 ont mené leur parcours à terme.


L’un des défis spécifiques au milieu rural : faire découvrir aux structures sociales les potentialités du vélo comme outil d’insertion, de remobilisation et de santé mentale et physique. “En ville, beaucoup de structures sociales ont déjà entendu parler des vélos-écoles adultes. Ici, la plupart d’entre elles n’avaient pas cette culture du vélo pour remobiliser, comme outil d’insertion.”

À Redon et dans les communes voisines, La Sonnette est en contact avec un réseau varié d’acteurs locaux : la Croix-Rouge, association Coallia au service des publics vulnérables, le centre de formation CLPS, la Maison des services et de l’emploi, ainsi que plusieurs associations intermédiaires (AI) du territoire.

Certaines découvrent tout juste le potentiel du vélo comme support d’accompagnement, d’autres deviennent partenaires prescriptrices ou relaient le programme auprès de leurs publics, à l’image des associations d’insertion PACTES à Pontchateau et AIDE Redon. “Ce travail d’adhésion prend du temps, mais il porte ses fruits”, souligne Mathilde Le Roux. “Les structures voient que le vélo peut être un véritable levier de reprise de confiance, de santé et de mobilité.”

Des retombées qui dépassent l’apprentissage

Les bénéfices du programme s’observent à plusieurs niveaux. Vélo-Égaux permet d’acquérir une autonomie de déplacement précieuse : “Les bénéficiaires peuvent ensuite aller à la piscine, au marché, faire leurs courses, faire des déplacements qu’elles et ils ne pouvaient pas réaliser avant. Certain·es vont pouvoir aller travailler à vélo, ce qui leur permet de réaliser des économies par rapport au coût d’une voiture et ainsi de vivre mieux.”

L’apprentissage du vélo participe à améliorer la sécurité en contribuant à changer les comportements. “Les bénéficiaires cyclistes sauront avoir une meilleure communication avec les autres usagers et usagères. Quant aux automobilistes, cela participe à changer leur regard”, note la coordinatrice. 

​​Au-delà de la mobilité, Vélo-Égaux permet parfois aussi de rompre l’isolement. « Les séances les amènent à être en lien. Même si c’est un lien très ténu pendant les séances, pour certain·es, c’est déjà énorme de venir et de dire bonjour à des inconnu·es. » Une fois équipé d’un vélo, celui-ci devient un prétexte pour maintenir ce lien : « Avoir un vélo, c’est trouver des excuses pour sortir de chez soi. Aller voir des voisin·es, faire une balade, aller acheter du pain… » La Sonnette souhaite d’ailleurs renforcer cet aspect en créant des groupes par lieux d’habitation, pour que des personnes puissent se retrouver autour du vélo.

Des histoires de vie transformées

Les témoignages des bénéficiaires illustrent l’impact concret du programme. Chaque parcours est unique, mais tous témoignent d’un même mouvement : celui de la reprise de confiance et de l’autonomie.

Une participante n’a suivi que deux séances du premier module avant d’arrêter : “Cela a suffit pour lui redonner confiance et estime de soi car elle était persuadée de ne pas réussir”. Un bénéficiaire travaillant en ESAT et qui se déplaçait déjà quotidiennement à vélo n’arrivait pas bien à tourner la tête pour prendre de l’information derrière lui. L’apprentissage d’une technique avec l’animateur mobilité lui permet désormais de “rouler bien plus en sécurité tous les jours”.

Parfois, les transformations sont plus radicales. Une douzaine de primo-pédalants, principalement des femmes, ont appris à faire du vélo dans le cadre de Vélo-Égaux. L’une d’entre elles “pédale quotidiennement avec le vélo que Vélo-Égaux lui a remis. Elle va faire ses missions de ménage à vélo. Avant, elle était à pied et elle perdait énormément de temps.« 

Une jeune femme “très craintive des voitures” est devenue “cycliste du quotidien. Elle vient réparer son vélo dans les ateliers d’autoréparation, c’est devenu constitutif de sa vie.” Comme cette dame qui accompagnait son enfant à l’école en courant à côté de son vélo : “Maintenant, elle l’accompagne à vélo.”

Confiance, autonomie et liberté de mouvement

Pour les demandeurs et demandeuses d’asile, le vélo devient un outil d’autonomie et d’intégration. L’un d’eux, qui a depuis déménagé à Brest, est parti avec le vélo remis par Vélo-Égaux, “son moyen de déplacement et un repère rassurant dans une nouvelle ville”. Deux jeunes bénéficiaires, également demandeurs d’asile, sillonnent désormais le pays de Redon à vélo, découvrent les paysages et encouragent leurs camarades à en faire autant : “c’est aussi une façon de s’intégrer et de s’approprier le territoire”, souligne Mathilde Le Roux.

Le programme permet aussi des reconquêtes importantes. Une femme qui avait fait un AVC a recommencé à faire du vélo, alors qu’elle pensait ne plus jamais pouvoir en faire et envisageait de passer au tricycle. D’autres encore adoptent le vélo pour des raisons économiques : “en période de budget serré, une des bénéficiaires du programme laisse maintenant sa voiture au garage et prend son vélo.”

Forte de cette première expérience, La Sonnette souhaite aujourd’hui poursuivre le développement du programme pour toucher de nouveaux publics, proposer des sessions dans de nouvelles villes et renforcer les liens avec les structures sociales locales.